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13. De l'apparence et de l'essence des choses
Au Japon, nombre de maisons ont un jardin.
Ou plutôt, se prolongent en jardins, leurs fenêtres grandes ouvertes sur l'eau,
la verdure et la pierre - en une intégration intime de la demeure des hommes et de celle des dieux.
Un jardin japonais est bien plus qu'un décor visant à mettre en valeur
le rang social ou le bâti. Car dans l'architecture visible de son paysage, s'en cache une autre, invisible, qui agit puissamment sur l'esprit de qui la contemple - au point que le jardin continue de s'y construire, au point d'inspirer une véritable expérience spirituelle.
Mais l'imaginaire, ou la méditation, ne s'accommodent ni d'un pas pressé, ni d'un regard distrait. Et s'il y a une chose essentielle, peut-être, à dire d'emblée sur le jardin japonais, c'est qu'il faut s'y promener à pas lents, pour en explorer, l'un après l'autre, les mille et un paysages. C'est qu'il faut s'arrêter devant lui, pour laisser son harmonie apaiser le désordre intérieur.
Un jardin japonais ne se laisse que patiemment découvrir.
Car il n'est pas fait d'une juxtaposition de pierres, d'eau, de plantes. Mais d'une intégration intime du vivant et de l'inerte, du fugace et de l'éternel, de l'apparence et de l'essence des choses.
Car chaque objet y est bien plus qu'un objet. Cette pierre est une
montagne sacrée. Cette eau immobile est le miroir du jardin céleste.
Cet arbuste qui refleurit est la vie qui survit à l'hiver.
Une architecture du paysage si ancienne, raffinée et subtile, ne peut être qu'esquissée ici, avec tous les pièges de la généralité. Mais que nous soyons ignorants ou pas du symbolisme qu'elle recouvre, le jardin, lui, existe sans se demander si nous sommes ou non qualifiés pour le décoder. Et c'est avec le regard de l'âme autant qu'avec les yeux du corps qu'il nous invite à s'y engloutir.
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